Ce n’est pas d’un tyranneau, mais d’un ex-tyranneau de village que nous occupons aujourd’hui. En effet, depuis le 3 mai dernier, le sieur Chassagnette, ancien maire de Charensat, importante commune du canton de Saint-Gervais, a été réduit à l’impuissance par les électeurs qui l’ont mis à la porte de la mairie : Il est passé à l’état de momie municipale. Mais cet intéressant spécimen ne déparera pas notre galerie.
Pendant 18 ans, M. Chassagnette a traité sa commune comme un fief lui appartenant. A tout propos il menaçait les contribuables de la prison. Il portait toujours avec lui son écharpe et il faisait peur aux paysans en la montrant et en disant : « Si l’un de vous a le malheur de bouger, je le ferai mettre en prison ». C’était sa menace habituelle, mais tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse. A la fin, ces braves gens ont voulu reconquérir leur liberté, et le matin du 3 mai dernier, lorsque le sieur Chassagnette, ceint de son écharpe et escorté de son garde-champêtre, est sorti sur la place pour haranguer les électeurs et foudroyer ses adversaires, il fut reçu par des huées et des sifflets ; il ne put prononcer un mot : le soir même il n’était plus maire.
Furieux, le tyranneau Chassagnette vient d’inventer une vengeance originale. Naturellement il poursuivit les élus devant le conseil de préfecture et perdit son procès : il a fait appel devant le conseil d’État et perdra de même. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit M. Chassagnette vient d’intenter à la commune de Charensat on procès, lui réclamant la somme de 550 francs comme solde de ses frais pour avoir administré la commune pendant 18 ans !!
Ce tyranneau, justement révoqué par les électeurs, a voulu sans doute imiter l’exemple des conseillers municipaux de Paris, de Limoges, et de bien d’autres villes qui se sont votés de riches appointements aux dépens des contribuables. Mais, jugeant ses services à leur véritable valeur, il ne leur réclame que 550 francs pour dix-huit ans ; à peu près 30 francs par an, c’est modeste.
Le conseil municipal de Charensat, saisi de cette question à sa dernière séance, a nettement repoussé cette demande, attendu que les fonctions de maire sont gratuites. Furieux, M. Chassagnette va plaider ; nous allons pouvoir rire aux dépens de l’ex-tyranneau.
Avenir du Puy-de-Dôme – Journal du 31 août 1896.
Nous avons parlé de l’ex-tyranneau Chassagnette, ancien maire de Charensat, qui essaie de se venger aujourd’hui des électeurs qui l’ont mis à la porte en leur réclamant une somme de 576 francs 50 pour ses honoraires d’administration. Or, nous apprenons, au sujet de M ? Chassagnette, un détail vraiment stupéfiant : malgré de nombreuses protestations, M. Chassagnette, en même temps qu’il était maire de Charensat, était juge de paix de Chénérailles, Creuse, commune distante de 47 kilomètres de celle où il exerçait les fonctions de maire !
M. Chassagnette cumulait donc les fonctions ; il voudrait aussi cumuler les appointements.
Voici le détail des sommes qu’il a réclamées à la commune par voie hiérarchique, c’est-à-dire au moyen d’un bordereau adressé à la préfecture le 11 juin dernier et transmis ensuite à la municipalité de Charensat :
- Dix-sept voyages à Saint-Gervais pour faire tirer les jeunes gens au sort, à 5 f r. (Frais du cheval compris) : 85
- Dix-huit voyages à Saint-Gervais pour assister au conseil de révision, à 5 f r. (Frais du cheval compris) : 90
- Dix-sept voyages à Saint-Gervais pour former la liste du jury, à 5 f r. (Frais du cheval compris) :
- En 1881, un voyage à Clermont pour l’adjudication des travaux du clocher 25
- Un voyage à Saint-Gervais paour le même objet
- Un voyage à Clermont pour fixer l’emplacement des gares du chemin de fer de Saint-Eloy à l’Etrade 25
- Un voyage à Clermont et à Riom à cause des difficultés survenues à l’occasion de la pose de l’horloge communale 42
- Procès Beschard (sauf recours de la commune contre ce dernier) 214,50
Total : 576,50
Comme on le voit, ce modèle de fonctionnaires radicaux n’oublie rien. Le conseil, nous l’avons déjà dit, a refusé de payer et a autorisé le maire à ester en justice pour défendre les droits de la commune.
Nous aurions beaucoup à dire sur la gestion de M. le juge de paix de Chénérailles, ancien maire de Charensat ; mais cela nous entrainerait trop loin. Nous en reparlerons au moment du procès, s’il a lieu.
Avenir du Puy-de-Dôme – Journal du 4 septembre 1896.