Jules Beauvillet a fait des aveux
Il dénonce son beau-frère Gaston Quintin comme étant l’instigateur du crime
Nous disions hier qu’une courte dépêche annonçait l’arrestation à Paris, à 22 heures, dans un hôtel de la rue de Meaux, de Jules Beauvillet, sur qui pesaient de graves soupçons au sujet de l’assassinat de la famille Beaugeard.
Comment fût opéré l’arrestation
L’assassin, qui du reste, nia son crime, était connu dans le quartier depuis deux ans ; à ses passages à Paris il allait prendre ses repas dans un petit café-restaurant tenu par Mme Narcisse, 4, rue Lally-Tollendal. C’est là qu’il a déjeuné vendredi. Il était porteur d’une valise et demandait une chambre.
Il n’y en avait pas. On lui indiqua alors l’hôtel de Lyon, voisin de ce restaurant. Beauvillet y déposa sa valise et indiqua qu’il reviendrait mardi après un voyage en Auvergne.
Effectivement, Mme Sourdex, propriétaire de l’hôtel, le vit arriver au jour dit.
Sur le livre d’entrée, le charron s’inscrivit sous son véritable nom et montra son livret militaire comme pièce d’identité. Mme Sourdex y lut qu’il avait 23 ans et était libéré du 91e d’infanterie de Mézières, où il avait fait son service.
C’est en inspectant le livre d’hôtel qu’un agent y découvrit la présence de Beauvillet.
A 22 heures, Beauvillet arriva et monta immédiatement dans sa chambre. A peine y était-il que six inspecteurs, poussant la porte qui n’avait pas même était fermée à clef, firent irruption dans la pièce et l’appréhendèrent presque sans résistance. Il dit : « Oui, c’est moi… »
Dans sa chambre, les policiers saisirent du linge de corps maculé de sang.
Hébété, l’homme laissait les inspecteurs perquisitionner sous ses yeux. Puis il a été conduit rue des Saussaies.
« C’est bien moi, dit-il, mais je n’ai tué personne… » et toute la nuit, interrogé, il a nié le crime qu’on lui impute.
Ajoutons qu’au moment de son arrestation, le jeune criminel n’avait sur lui qu’une somme de 1fr. 50.
Les aveux du coupable
Après de nombreuses réticences, Jules Beauvillet finit par avouer qu’il était bien l’auteur du triple assassinat de Roche-d’Agoux.
Ce bandit semble ne pas comprendre l’horreur de son crime. Sa physionomie, presque douce, n’accuse aucune de ces tares caractéristiques bien connues des criminologistes. C’est d’une voix blanche qu’il fit devant M. Bayard, commissaire à la sureté générale, le récit suivant de la nuit tragique du 17 octobre.
Il déclara avoir été incité à commettre le crime par son beau-frère, Gaston Quintin, 27 ans, maçon, 1, avenue des Paulines.
Il indiqua que celui-ci voulait hériter de la ferme et de ses dépendances, d’une valeur d’environ 400.000 francs. C’est Quintin qui, d’après Beauvillet, aurait donné le revolver, première arme du crime. Beauvillet indiqua qu’en même temps Quintin lui aurait remis une fiole contenant un liquide qu’il devait boire, une demi-heure avant de tuer toute la famille.
Cette remise aurait eu lieu il y a quelques mois, alors que Quintin habitait encore à Neuvemille.
Un accord étant intervenu entre les deux beaux-frères, Beauvillet n’attendait qu’un ordre de Quintin ? Cet ordre lui fut transmis le 9 courant, par une lettre que Beauvillet aurait brûlée.
Prévenant sa femme qu’il avait du travail à Paris, Beauvillet la quitta le 12 courant, lui laissant la moitié de sa quinzaine, c’et-à-dire 200 francs. Depuis cette date, la femme n’eut pas d’autres nouvelles de son mari.
Beauvillet s’arrêta un jour à Paris, puis se rendit à Roche-d’Agoux, où il arriva le 14 courant, vers 17 heures. Il fut reçu par son grand-père, sa tante et sa cousine, auxquels il déclara qu’à la faveur de son passage il venait leur rendre visite.
Il coucha à la ferme et repartit lundi dernier, vers 17 heures. Son grand-père l’accompagna pendant environ trois ou quatre kilomètres.
La scène du crime
Beauvillet déclara s’être couché sur le talus de la route et être revenu vers 11 heures du soir à la ferme. Tout le monde était endormi. Il frappa et se fit reconnaitre.
Au moment où son grand-père et sa tante venaient lui ouvrir la porte, il tira sur eux plusieurs coups de revolver. Ils tombèrent sur le sol en criant très fort.
Son pistolet s’étant enrayé, Beauvillet saisit une fourche qui se trouvait près de la porte et en frappa sauvagement son grand-père et sa tante.
Aux cris poussés par les victimes, sa cousine, âgée de 21 ans, descendit du premier étage et, affolée, lui cria : « Qu’est-ce que tu fais ? »
Sans répondre un mot, Beauvillet l’empoigna, la jeta sur le lit et l’assomma à l’aide d’une pelle.
Comme ses trois malheureuses victimes criaient toujours, Beauvillet fou de rage, s’empara d’un couteau de cuisine qui trainait sur la table et en frappa sauvagement ses parents, puis, affolé, s’enfuit.
Il ne peut dire combien de temps a duré cette scène de carnage. Il prétend qu’il avait absorbé le contenu de la fiole que lui avait remis son beau-frère Quintin et qu’il était devenu fou furieux.
Il déclara qu’il n’a rien dérobé dans la maison du crime. Il est revenu à Saint-Maurice-de-Pionsat à 5 heures du matin pour prendre le premier autobus qui devait le ramener à gouttières, où il a pris le train pour Montluçon.
Arrivé dans cette ville, vers 10 h. du matin, Beauvillet fit un léger repas et erra quelques temps dans la ville. Ayant rencontré une fille publique, il alla se distraire chez elle pendant quelques heures. Il reprit le train de 13 heures, le mardi 16 courant, pour arriver à Paris dans la soirée. Il alla coucher dans l’hôtel de la rue de Meaux, où il a été arrêté avant-hier.
Depuis son retour, Beauvillet cherchait du travail, qu’il n’a pas trouvé. Pouvant craindre que sa femme soit complice, M. Le Luc, commissaire divisionnaire, demanda des renseignements à Nouzonville, où il lui fut répondu par la gendarmerie que celle-ci ayant reçu une dépêche de la famille se rendait à Roche-d’Agoux, pour assister aux obsèques de ses parents. Elle ignorait tout du drame.
La femme de Beauvillet est interrogée
Conduite à la Sûreté générale, en débarquant du train à Charleville, cette malheureuse femme, qui parait n’avoir joué aucun rôle dans cette affaire, n’a pas voulu se rendre en Auvergne et est repartie pour Nouzonville. Une confrontation émouvante a eu lieu entre les deux époux.
Beauvillet a été écroué au dépôt pour être mis à la disposition de M. le juge d’instruction de Riom chargé d’instruire cette affaire.
L’arrestation de Quintin
Dès que Beauvillet eut fait ces aveux, la Sûreté général avisa le parquet de Riom et M. Bardy, commissaire divisionnaire de police mobile à Clermont-Ferrand.
M. Depeige, commissaire, qui avait déjà demandé des explications à Quintin sur son emploi du temps depuis dimanche, s’empressa d’aller au n° 1 de l’avenue des Paulines, où Quintin a sa chambre meublée. Là, il apprit que le maçon était parti à Roche-d’Agoux pour assister aux obsèques de son grand-père, de sa tante et de sa cousine, qui ont eu lieu hier matin.
Immédiatement prévenue, la gendarmerie de Pionsat se rendit à Roche-d’Agoux.
Quintin avait, en effet, assisté à la funèbre cérémonie. Il avait même feint, suprême hypocrisie, d’être très affecté par la mort tragique de ses parents.
Après l’enterrement, toute la famille, assez nombreuse, s’était réunie, à midi, au restaurant Mercier.
C’est là que les gendarmes trouvèrent Quintin, attablé au milieu des siens. Il fut appréhendé, séance tenante, sans résistance. On devine sans peine l’émoi des convives de ce triste repas à la pensée qu’ils avaient déjeuné avec un des assassins de la famille Beaugeard. Car, tous les témoins, même les gendarmes, ignoraient jusque-là le rôle exact joué par Gaston Quintin dans l’horrible tragédie, et avaient tout lieu de penser qu’il avait pris une part active.
Immédiatement emmené à Pionsat, Quintin y fut peu après remis aux mains du commissaire de police mobile Depeige, accompagné des inspecteurs Montaudon et Moreau. Une auto ramenait bientôt le prisonnier à Riom, où, à 19 heures, il était placé sous mandat de dépôt et écroué à la maison d’arrêt.
M. Mathieu, procureur de la République, l’interrogera ce matin pour tâcher de savoir s’il a bien joué le rôle d’instigateur que lui prêtent les déclarations de Beauvillet.
Beauvillet n’a pas dit toute la vérité
Mais revenons aux aveux du criminel, qui affirme avoir « opéré » seul.
On a vu, d’après le récit du bandit, que la terrible scène se serait déroulée lundi soir, vers 11 heures. Cela semble en contradiction avec les observations du docteur Grasset.
A cette heure-là, Mme Beaugeard aurait été couchée depuis longtemps et, si elle s’était levée à l’appel de son neveu, elle n’aurait pas pris la peine de s’habiller aussi complètement pour ne pas le faire attendre trop longtemps devant la porte. Ce n’est pas non plus à 11 heures du soir qu’elle aurait fait du café et en aurait absorbé une tasse.
De même, lorsque Beauvillet prétend que Lucienne Beaugeard était couchée au premier étage, dans sa chambre, et n’est descendue qu’au bruit de la lutte et du premier coup de revolver, c’est là un récit manifestement faux des événements. Pour qui a vu le cadavre de la malheureuse jeune fille, recroquevillé dans le lit du rez-de-chaussée, il ne fait pas de doute qu’elle s’y trouvait lorsque commença le drame.
Une preuve irréfutable, c’est que les bas, la robe et tous les effets de Lucienne Beaugeard se trouvaient au pied du lit du rez-de-chaussée, sur une chaise qui a été renversée au cours de la lutte.
Des éclaboussures de sang, tombées sur ce linge, démontrent qu’il se trouvait bien là, sur cette chaise, lorsque commença le terrible carnage.
C’est vraisemblablement l’assassin qui coucha au premier étage, dans le lit de sa cousine, et ne descendit au rez-de-chaussée, le mardi matin, vers 3h. 30, que pour assassiner ses trois parents.
Quant aux détails mêmes du crime, tels que les donnent Beauvillet, on peut y relever de nombreuses invraisemblances.
Un fait très important domine cependant les aveux de l’assassin : c’est que le crime était longuement prémédité.
C’est là, on le sent, une circonstance particulièrement aggravante.
Beauvillet prétend, d’autre part, qu’il n’a rien volé après le crime et voulait simplement faire disparaitre la famille Beaugeard pour recueillir sa part d’héritage. Or, les affaires du père Beaugeard étaient réglées depuis 1925, et le partage était fait. Beauvillet n’avait donc plus rien à espérer.
De plus, il est bien certain que les armoires, les meubles et le sac de Lucienne Beaugeard ont été fouillés par le bandit.
Des traces sanglantes de ses doigts ont été relevées en plusieurs endroits.
Qu’il n’ait rien pris, parce que n’ayant rien trouvé à prendre, c’est peut-être possible. Mais sa volonté était certainement bien arrêtée d’emporter toutes les valeurs qu’il aurait pu trouver. Et c’est même là, très probablement, le mobile qui a poussé Beauvillet à commettre son odieux forfait. Il était aux abois, sa femme et lui ayant été assez longtemps malades, cette année. Il lui fallait de l’argent à tout prix. Il n’a pas hésité à massacrer sa famille pour s’en procurer.
Quant aux mobiles qui ont poussé Quintin à faire assassiner son grand-père, sa tante et sa cousine, on ne les connait pas encore ; en supposant que le récit de Beauvillet, qui le présente comme l’instigateur du crime, soit exact sur ce point.
Peut-être le maçon, qui, ne l’oublions pas, avait fait des menaces de mort à son grand-père et à sa tante, a-t-il agi aussi par simple désir de vengeance.
Il sera facile de déterminer son rôle exact en cette affaire, notamment de savoir s’il a bien envoyé à son beau-frère le revolver qui a été trouvé à Saint-Maurice-de-Pionsat et une fiole de liqueur destinée à lui enlever la raison.
Une perquisition faite à son domicile, avenue des Paulines, a simplement permis de trouver un pistolet automatique chargé. Mais de lettre compromettante, point.
Faisons cependant confiance à M. Mathieu, le distingué procureur de Riom, pour établir rapidement le rôle de Quintin dans cette affaire.
Les obsèques des victimes
Hier matin ont eu lieu, à Roche-d’Agoux, les obsèques des trois victimes de ce terrible drame. Une affluence comme on n’en vit jamais dans le pays escortait les trois cercueils. Toutes les familles de la région y étaient représentées, témoignant ainsi de l’estime profonde dans laquelle était tenue la famille Beaugeard et le sentiment d’horreur profonde qu’a fait naitre leur fin aussi tragique.
Le Moniteur du Puy-de-Dôme, édition du 20/10/1928
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