Lu dans le journal Le Petit Clermontois du 17 septembre 1886.
Tous les missionnaires ne sont pas au Tonkin, ni en Chine. Il en est qui trouvent plus commode de venir apporter la « parole de Dieu » aux populations de nos campagnes, bien que les habitants du Puy-de-Dôme n’aient point l’habitude de jeter leurs enfants dans l’onde homicide du fleuve jaune. Il est vrai que ceux du Céleste-Empire ne l’ont pas d’avantage, si l’on en croit certains auteurs peu orthodoxes.
Donc, nos montagnes ont le bonheur de posséder des missionnaires. Ce n’est pas la première fois que l’on essaie de renouveler les prodiges accomplis pendant la Mission de 1829, mais la tâche devient difficile. Le Saint-Esprit fait des façons pour descendre de la voûte des églises, et le tonnerre et les éclairs ont pris l’habitude d’agir quand bon leur semble, au lieu d’obéir à la voix des prédicateurs.
Cela n’empêche pas. On fait ce qu’on peut. Les missionnaires tonnent personnellement, et à force d’invoquer l’enfer et tous les diables, ils finissent toujours à ramener au bien – lisez au confessionnal – quelques pêcheurs égarés. D’abord leur clientèle se compose de quelques vieilles femmes ; puis les indifférents se laissent gagner. Les missionnaires sont si contents ! Ils donnent l’absolution à si bon compte ! Ce n’est pas comme le vieux curé ou le petit vicaire qui vous épluche une conscience jusque dans les recoins les plus discrets.
Ces bons missionnaires se contentent de gratter la surface. Ils ont tant d’âmes à convertir ! Et dam ! C’est très commode, de raconter ses péchés à un homme qui n’écoute que d’une oreille. Un court résumé, quelques paroles latines et tout est dit, qui est-ce qui ne voudrait pas profiter de cette aubaine ?
Doux en confession, les missionnaires sont terribles en chair. Ils vous décrivent les supplices infernaux de façon à donner la chair de poule. Quand on peut éviter de si grands maux en se donnant aussi peu de peine, on serait bien bête si l’on y manquait. Tel est le raisonnement qui s’infiltre peu à peu dans l’esprit des auditeurs, et, chaque jour, il s’en confesse une fournée.
A Saint-Priest-des-Champs, les missionnaires ont fait une campagne superbe. La mission a duré trois semaines, et ceux que la grâce n’a pas touchés sont rares. Malheureusement, le dernier jour a été signalé par un incident qui a jeté un froid.
Les missionnaires, fidèles à leur tactique, qui consiste à frapper surtout l’imagination, célébraient qun grand’messe en plein air, sur la place publique. Quelques jeunes gens, convenablement dressés, tiraient en leur honneur des pétards et des coups de fusils. Les missionnaires adorent cela. Fusillade et pétarade alternaient avec les chants sacrés. C’était bruyant, mais c’était très beau.
Un charron, animé d’un peu de zèle, faisait mieux. Avec un vieux tube de fer, monté sur une sorte d’affût, il avait fabriqué un canon. Muni d’une petite caisse pleine de poudre, il chargeait l’instrument par la culasse, et le canon tonnait pour la plus grande gloire de Dieu.
Tout à coup, une fusée, maladroitement lancée par un nommé V…, vint tomber encore enflammée dans la caisse de poudre. Une explosion formidable eut lieu, et le malheureux Abavid – c’est le nom du charron – se mit à pousser des cris affreux. Il était grièvement brûlé.
On s’empressa autour de lui, le curé en personne vint lui prodiguer des soins qui n’étaient pas inutiles, car Abavid était dans un état lamentable. Quand aux missionnaires, ils chantaient, et le diable n’interromprait pas un missionnaire qui chante. Les cantiques continuèrent de plus belle.
Les missionnaires partirent le lendemain et le charron resta quinze jours sans pouvoir travailler.
Voilà le plus beau miracle qu’ait produit la mission à Saint-Priest-des-Champs. C’est n’avoir pas de chance : si le blessé eût été un hérétique, un niguenaud (huguenot) comme on dit dans nos campagnes, on aurait encore pu exploiter ça. Par malheur, le charron était une des meilleures recrues des révérends pères. Sa conversion ne lui a pas porté bonheur.